La peau du corps

Une chrysalide sous l’oreiller

Gabrielle Duplantier

La lumière n’a pas assez de place au ciel, elle ouvre ses bras, s’enlace autour de toi.

Une énergie douce, vive, t’irradie.

Tu souris.

Tu as quitté ton état.

Tes paupières s’ouvrent, laissent tomber des centaines de grains d’ombre au sol, comme si on t’avait opérée de la cataracte pendant la nuit. Le jour entre en toi.

Un drap excessivement lourd est tombé de tes épaules.

Une impression d’envol.

Dehors, les branches se balancent dans le vent, et tu ne vois plus le balbutiement de leur mort, tu vois leurs bourgeons précoces.

Le soleil éclaire ta table de travail, tu souffles sur la poussière, passes un coup d’éponge, participes à l’élargissement de la lumière.

Tu redeviens papillon. Tu places la chrysalide, si fragile, sous l’oreiller du lit, tu penses, ne jamais la jeter, les grandes marées reviendront.

Respiration.

Les journées de la semaine écoulée ont été un immense cache-cache avec ton esprit.

Enfant, tu étais l’une des plus forte de la cour de récré, au jeu d’éperviers sortez. Tu croyais que c’était une formule magique, épérviésorté, et dès qu’on la déclamait, tu courrais, disparaissais, il fallait deux à trois garçons pour te pourchasser, te toucher, te proclamer la dernière survivante de ton camp décimé. Jusqu’au bout, tu les évitais, en te répétant que rien n’était jamais gagné. Aujourd’hui, quand tu te sens piégée, tu aimerais ne jamais oublier que la liberté est tout près.

Tu allumes ton ordinateur, remplis un post-it de toutes les activités projetées, tu détailles chaque point, t’extasies,

marcher au soleil

saluer les canards

rendre les livres à la médiathèque

écrire une carte à B

écrire une lettre à L

trouver un manteau avant la fin de l’hiver

aller au vernissage de A.

prendre un verre avec A.

reprendre l’écriture du livre

publier l’article « Une chrysalide sous l’oreiller »

réfléchir au sens de l’existence

trier les chaussettes

Tu places un maximum de réjouissances sans savoir si tu arriveras à les terminer toutes, mais peu importe, tu as hâte.

Tu souris.

Tu aimerais mieux comprendre ce changement d’état, lire des expériences similaires, en parler autour de toi.

Ce n’est pas si grave.

Tu ne connais jamais d’avance l’amplitude du voyage dans le tunnel, mais tu sais que toujours, il finira.

Toujours, tu retrouveras tes projets, les présences d’amies, les messages d’amour, les livres où te lover, tes carnets à noircir, des chaussettes à trier.

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