Voyages

Frontières

Je jette ces mots comme des galets, le plus loin possible, avec un geste d’enfance – présentement.

Il faut écrire coûte que coûte les émotions qui tournent et tournent sous la peau. C’est comme le lait, le lait tourné, c’est mauvais pour la santé, quand on attend trop. J’envoie des messages qui ne viennent pas de moi, je me suis dispersée comme le vent dans le sable qui tourbillonne et puis s’en va.

J’ai trouvé des vagabonds sur le chemin, on a longé les plages de Dunkerque à marée basse, on cherchait la naissance des vagues, tout était noir. J’ai couru jusqu’à hurler de rire et de froid, l’eau glacée a transpercé mes chaussures, mouillé mes doigts, j’ai crié, c’est là.

J’ai trouvé la source de la mer, là où l’eau s’étire, là où se dessinent des cartes éphémères.

J’avais un pied à terre, l’autre dans le sel.

Je traverse les lignes, dépasse les limites, brouille les frontières. Obstinément.

J’ai rejoint le sable dur et noir. On a valsé à contre-vent. Je ne pouvais plus tomber, les bourrasques me retenaient. Je me suis adossée au vent. J’ai chanté, les yeux fermés, le coeur tremblant. 

J’ai tourné tourné tourné sur moi-même les yeux ouverts, la plage a vacillé et j’ai pensé, le monde est déréglé, on se reconnaît.

Tout est décousu ici. Ma solitude est mon fil. Je suis bien entourée. J’ai suivi les pas des autres. Je me suis perdue. Je suis revenue à l’état d’absente. J’ai dû rejoindre mon espace à moi, la chambre des mots.

J’ai emporté le sable au fond de mes chaussettes, j’ai attendu qu’il sèche. Je suis rentrée à l’hôtel, entre la Belgique et la France. J’ai éteint la lumière, j’ai enlevé les chaussettes, j’ai senti des milliers de corps blancs se déposer sur le drap. Je n’ai pas dormi, cette nuit-là.

Je jette mes mots comme des galets. Parfois, j’y mets toute ma force. Je vise l’horizon. Je pense aux cailloux, tout au fond. Aux pieds nus qui les écraseront. À ceux qui les caresseront.

Je jette mes galets pour faire passer le temps. Parce qu’il n’y a plus personne, derrière l’écran. 

Je t’ai envoyé des messages pour ne pas basculer. Pour quitter mes tornades. Comment se rejoindre entourée des autres sans se retrouver nomade ?

J’ai basculé et j’ai eu peur. J’ai allongé mes projets de marche, j’ai troqué des centaines de kilomètres contre des milliers, des kilomètres jusqu’à la mer noire. J’aurai des frontières dans le regard.

Je suis fatiguée, les points des phrases me pèsent, mais quand je ne les écris pas, je ne me situe pas.

Je me perds à la mer quand mon corps n’est pas seul à la voir.

Je t’écris comme on jette des galets dans la mer, j’ai besoin de repères.

Ici, tout est dense et lent. Je te le répète, à force de le contempler, j’ai embrassé le temps.

Il me manque l’espace.

Il est minuit et si je n’écris pas, j’aurais besoin de toi, de tes mots, de ta voix.

Je jette des mots comme des galets dans la mer, c’est mon repère, je suis mon propre père, je suis ma propre mère, je suis le vent je suis le temps je suis l’enfant, je suis la mer.

J’écris de loin, les mots des autres glissent comme des algues sur des rochers coupants, je fais un efforts, je n’y suis pas encore, j’écris encore,

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